Jacob Cohen : Ce qui se passe à Gaza est un génocide caractérisé

Alors que le nombre de victimes dans la bande de Gaza continue d’augmenter, dépassant désormais les (53 000) morts et (151 000) blessés depuis le 7 octobre 2023, la communauté internationale demeure plongée dans un silence assourdissant, tandis que les grandes puissances se contentent d’exprimer un « profond souci ». Dans ce contexte sanglant, s’élèvent les voix des penseurs et universitaires qui ont choisi de dire la vérité sans détour.

Dans cet entretien exclusif pour « Al Sahafi », nous dialoguons avec l’écrivain et penseur franco-marocain Jacob Cohen, l’une des voix les plus critiques du projet sioniste et opposé aux politiques expansionnistes d’Israël. Cohen, connu pour ses positions franches et sans compromis, dénonce le système international, mettant le doigt sur l’hypocrisie occidentale, accusant la communauté internationale de complicité, et comparant ce qui se passe à Gaza à un véritable génocide exécuté au vu et au su du monde.

Qu’est-ce qui empêche le monde d’agir ? Pourquoi, selon lui, les Accords d’Abraham ne seraient-ils que des papiers d’abandon ? Et comment analyse-t-il l’initiative « Vivre ensemble en paix »

Tout cela et bien plus dans ce dialogue franc et dérangeant, qui ne fait de cadeau à personne

Compte tenu de l’augmentation du nombre de victimes de l’agression israélienne contre la bande de Gaza, qui dépasse désormais les 53 486 morts et 151 398 blessés depuis le 7 octobre 2023, comment évaluez-vous la situation humanitaire actuelle, et quelles sont, selon vous, les mesures urgentes que doivent prendre la communauté internationale et les acteurs régionaux pour soulager cette crise ?

Malheureusement, je crois qu’il s’agit d’un bilan partiel et provisoire. Partiel, car il ne prend en compte que les morts directement liés aux faits de guerre. On peut raisonnablement supposer qu’il y a des dizaines de milliers d’autres morts et blessés dus à la famine, au manque de soins, à l’absence d’accès à l’eau potable, ou encore à l’exposition aux conditions climatiques extrêmes. C’est un bilan provisoire, car il ne cesse de s’alourdir jour après jour, voire heure après heure. L’ampleur de cette tragédie est inimaginable : rapportée à l’échelle de la France, cela représenterait environ 1,6 million de morts et 4,6 millions de blessés. Ce qui est plus terrifiant encore, c’est l’immobilisme de la communauté internationale. Aucun pays n’ose défier le diktat israélien. Les 57 pays membres de l’OCI auraient pu, par exemple, envoyer des vivres et des médicaments par parachutage ou forcer un accès à Gaza via la frontière égyptienne, mais diverses considérations les en ont empêchés. Quant aux grandes puissances, elles ont leurs propres priorités et agendas.

. Quelles seraient, selon vous, les implications internationales d’une telle qualificationCertains experts et observateurs qualifient la situation à Gaza de possible génocide. Partagez-vous cette analyse

On joue sur les mots. Parce qu’il s’agit d’Israël – supposée patrie des juifs, qui ont eux-mêmes été victimes d’un génocide partiel sous Hitler – on hésite à employer ce terme. Pourtant, les déclarations des plus hauts responsables israéliens après le 7 octobre 2023 ne laissent aucun doute sur leur intention de vider Gaza de sa population par tous les moyens. Quand on détruit méthodiquement les habitations, hôpitaux, écoles, universités, administrations, mosquées, commerces, bateaux de pêche, réseaux d’eau et d’électricité – bref, toute infrastructure permettant la vie ou la survie – tout en multipliant les bombardements meurtriers, on condamne une population à la mort ou à l’agonie. Si cela concernait un autre pays, personne n’hésiterait à qualifier cela de génocide. Mais nous connaissons la puissance du lobby judéo-sioniste en Occident.

 

Face au siège et au blocus imposés par l’occupation israélienne à Gaza, souvent qualifiés d’armes de famine, comment évaluez-vous leur impact sur la population civile palestinienne ? Quelles actions internationales urgentes recommanderiez-vous pour y remédier

Je viens de lire un article britannique selon lequel 4 000 bébés palestiniens pourraient mourir dans les prochains jours faute de soins. Il ne reste presque plus aucune structure vitale à Gaza. Imaginez une population ayant subi 20 mois – soit 600 jours – de bombardements et de famine. Même sans être expert, je me demande comment ce peuple pourra retrouver un jour une vie normale. Et même si la guerre prenait fin, Israël conserverait le contrôle total de l’accès au territoire, décidant seul de ce qui peut entrer – nourriture, médicaments, matériaux de construction, etc. L’action la plus urgente serait la levée immédiate du blocus et l’accès libre pour les ONG et les agences onusiennes afin de tenter de réparer ce qui peut encore l’être. Mais cela semble relever du rêve inaccessible.

 

Quel message souhaitez-vous adresser à la communauté internationale concernant le soutien à la cause palestinienne

Je voudrais exprimer le fond de ma pensée, accompagné de quelques gestes des bras et des doigts… mais la décence m’en empêche.

 

Comment percevez-vous l’impact des Accords d’Abraham sur la situation politique au Moyen-Orient, notamment en ce qui concerne la cause palestinienne ? Pensez-vous que ces accords peuvent contribuer à la paix ou compliquent-ils la résolution du conflit

Les Accords d’Abraham sont des accords de capitulation. Les signer avec l’ennemi sans contrepartie – c’est-à-dire sans la création d’un État palestinien, la libération d’Al-Quds et des territoires occupés – revient à offrir à cet ennemi une carte blanche pour continuer sa politique coloniale, d’apartheid et de massacres. Les pays ayant normalisé leurs relations avec Israël se retrouvent piégés. Revenir en arrière leur coûterait trop cher politiquement et économiquement. Ils sont donc contraints de laisser faire, et le régime sioniste en profite pleinement. Ces accords ne mèneront jamais à une vraie paix. Ils renforcent au contraire le suprémacisme sioniste dans le monde arabe.

 

Comment évaluez-vous le rôle de l’Algérie dans l’initiative internationale de la Journée du vivre-ensemble en paix, célébrée mondialement chaque 16 mai depuis son adoption par l’ONU en 2017 

J’ai une vision réaliste, voire cynique, du monde actuel. Ce genre d’initiatives sont très belles sur le papier, idéales pour entretenir des illusions. Mais la réalité est bien différente : le monde est une jungle. Il faut être fort, intelligent, résilient et déterminé pour survivre. Malheur aux vaincus. Promouvoir ce type d’idéaux est louable, certes, mais il ne faut pas leur accorder plus de crédit qu’ils n’en méritent.

 

Quelle est, selon vous, l’importance de célébrer la Journée du vivre-ensemble en paix dans le contexte des crises mondiales actuelles

C’est une belle cérémonie d’hypocrisie globalisée. Imaginez cette célébration à l’ONU avec des représentants des États-Unis – rien que cette image devrait en démontrer l’absurdité – et d’autres États impliqués dans des guerres ou le pillage des pays pauvres. Il existe de nombreuses journées de ce type aux Nations Unies, pleines de beaux discours, de cocktails raffinés, et d’illusions en série.

 

Pensez-vous que l’initiative « Vivre ensemble en paix » pourrait constituer une antidote aux Accords d’Abraham

Je crois vous avoir clairement dit ce que je pense de ces deux démarches. Elles sont aussi inutiles que nuisibles, car elles entretiennent l’illusion qu’un problème est en voie de résolution, alors qu’en réalité, on reste impuissant – ou trop lâche – pour le régler dans le respect du droit et de la justice.

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